Avignon, rue des teinturiers, novembre 1994, 17h
Un homme ganté accroche des prothèses sonores à une des roues à aubes qui font la célébrité de la rue. Ce sont des sortes de flutes emboitées dans le goulot de bouteilles d’eau sans fond en guise de piston hydraulique. Chaque bouteille est fixée à la roue par un système d’élastiques à crochets facilement manipulable.
Dans son mouvement la roue entraine les bouteilles sous le niveau de flottaison, l’eau y entrant, expulse l’air et fait sonner les flûtes. L’ensemble forme une boucle de sons sans noms qu’il faut harmoniser empiriquement en changeant les flutes de pal et tenter ainsi de transformer la roue à aube en orgue, sans trop de barbarie.
Comme tout bonimenteur non mélomane, j’ai dû me contenter, sans manivelle, d’improviser un son proche de l’objet avec ce qui voulait bien sortir des flûtes. On aurait cru renflouer le titanique tant ce qui sortait de l’eau était étrange et glacial. Des bruits de tôles froissées, de train hurlants allaient vers nous dangereusement, puis des pleurs, des râles et des cris d’espèces improbables débordaient de l’engin.
Et le son caverneux des rouages d’antan délavés par la Sorgue inonda la rue, une litanie de plaintes et de grincements exhalait aux quatre vents, l’histoire de la vieille ville. Ce jour là, les moulins à paroles déliaient leurs ailes et la rue se mis à chanter au rythme lancinant de la douce rivière et détourné jusqu’à 19h30.